(m - libre) ▪ we used to have it all

A côté de lui elle se sent toute petite Gabby. Remonte en elle la petite fille fragile qui se laissait marcher dessus plus jeune. Mais c’est à elle qu’il a décidé de laisser une chance, elle, parmi toutes les autres. Elle pense à une blague, joue des dizaines de scénarios dans sa tête, tous plus improbables les uns que les autres ; afin d’expliquer pourquoi c’est elle qu’il a choisi. Elle a peur, peur d’être déçue, peur qu’il ne finisse par la laisser tomber lorsqu’elle se sera fait trop d’espoir. Il l’aime c’est ce qu’il dit, mais elle a toujours besoin qu’il la rassure, qu’il lui prouve que tout ceci n’est pas qu’une mascarade. Les doutes finissent par s’envoler, pour laisser place à une histoire qui lui semble un peu trop heureuse, mais elle se laisse bercer par le flot de ses illusions. Sasha est prévenant, balaye tous ses doutes et questions, la fait sentir comme si personne n’était plus important qu’elle. Mais il y a ce mariage. Ce mariage arrangé dont Gabrielle n’a jamais entendu parler. Elle le découvre sans trop le vouloir, des papiers qu’il a laissé traîner et sur lesquels l’Anglaise n’était jamais censée tomber. La déception, la colère, la trahison. Elle n’a plus envie de l’écouter, à quoi bon. Elle le savait, il s’est jouée d’elle depuis le début. Gabby d’ordinaire si méfiante a laissé tomber sa garde face à cet homme qui allait lui causer tant de peine. Elle n’a pas envie d’entendre qu’il n’a jamais voulu de ce mariage. Elle s’en moque, elle sait qu’il n’y échappera. Il lui a menti, c’est trop, trop pour son cœur qui a déjà trop souffert, son cœur trop fragile pour supporter une nouvelle déception. Alors elle essaie de l’oublier, bloque son numéro, mais rien n’y fait. Si elle ne laisse rien paraître, plus rien ne va dans sa vie qu’elle pense insignifiante. Le test qui s’avère positif n’arrange rien. Elle n’a pas envie d’avoir un bébé, elle n’est pas prête. Elle ne veut pas d’un bébé qui lui rappelle Sasha, elle veut tirer un trait sur cette partie de sa vie, l’oublier à tout jamais, sans qu’il ne l’apprenne jamais.

Il est neuf heures du soir. Gabby a replié ses jambes graciles contre sa poitrine, le cœur tambourinant, des larmes perlant ses joues. Tout est de sa faute à lui, pas à elle. Non, Gabby elle a toujours fait attention. A tout, dans les moindres détails. Elle a envie de le retrouver ce salopard, de lui mettre la main dessus et de lui cracher dessus, de déverser sur lui toute la rage qu'elle ressent. Mais cette haine elle est irrationnelle, elle le sait bien. Elle devrait s'en vouloir à elle-même. Pas à lui et ses yeux bleus, son sourire charmeur et son accent de l'Est qui en ferait tomber plus d'une. Et elle a fini par succomber Gabby, faible petite chose. Elle à qui on fait rarement attention, qui se fond dans la masse pour mieux se faire oublier. Mais il l'avait choisi elle, parmi toutes les autres prétendantes qu'il semblait avoir. Son instinct lui avait dit de se méfier, comme il le fait toujours quand il sent le danger arriver. Mais la petite fille meurtrie qui sommeillait en Gabby avait fini par se réveiller, par se laisser bercer par les belles paroles du Russe. Au fond elle n'y a jamais cru mais elle voulait penser que l'illusion allait perdurer. C'était utopique. Peut-être un peu trop, surtout pour une fille comme Gabby qui ne laisse que rarement son cœur lui dicter sa conduite, elle dont la raison semble prendre le dessus à chacune de ses décisions.
Si elle pleure ce n'est pas à cause de lui, pas à cause de ce qu'il lui a fait. Mais du bâtonnet qu'elle tient dans ses mains tremblantes, et qui lui semble annoncer la fin de sa vie. Ce bébé elle n'en veut pas. Elle n'en veut pas, pas maintenant. Elle est trop jeune Gabby. Trop jeune pour avoir à charge un autre être humain. Elle a peut-être grandi plus vite que les autres, mais elle a des rêves plein la tête, des rêves de carrière, qui semblent s'évaporer peu à peu lorsqu'elle s'imagine mère si jeune. Elle n'en veut pas, pas avec lui. Lui qui lui a promis monts et merveilles et qui s'est révélé être promis à une autre dans son pays natal. Elle ne l'appellera pas, il n'a plus rien à faire dans sa vie. Elle le pense parti. Parti retrouver celle qui doit sans doute être bien mieux qu'elle. Elle le savait. Il lui a tout donné pour mieux la détruire. Gabby qui se retrouve sur ce carrelage froid qui lui semble maintenant refléter l'attitude du Russe. Elle a envie de crier, d'hurler sa rage au monde entier mais comme toujours elle se contient.
Ses pensées deviennent confuses. Il ne s'agit peut-être que d'une fausse alerte. Elle espère, quelques secondes, des secondes qui lui semblent pourtant trop courtes. Combien sont les chances que le test soit faux ? Maigre, sans doute. Alors elle envisage toutes les possibilités. Sensible comme elle est, même si elle préférera tout garder pour elle plutôt que de craqueler son image de femme forte; elle pense à cette chose qui grandit dans son ventre. Un enfant qui ne verra peut-être jamais le jour. Ou un enfant qui se demandera toujours pourquoi on n'a pas voulu de lui. Gabby elle sait ce que c'est pourtant, elle qui n'a pourtant jamais regretté la famille dont elle a héritée. Et il y a la dernière option, qui lui donnerait presque envie de vomir, et qui lui serre peu à peu la cage thoracique. L'élever, seule, et lui expliquer tous les jours de sa vie pourquoi il n'a pas eu le droit d'avoir un père dans sa vie.
Elle est perdue, ses oreilles bourdonnent, ses pensées s'embrument. Dans une tentative vaine de reprendre ses esprits, elle se lève, observe son reflet dans le miroir. Ce visage qui ne ressemble à aucun autre dans sa famille. Cette famille dont elle est si fière de faire partie. Essuyant ses larmes d'un revers de la main, elle se dirige vers le salon d'un pas décidé. Attrapant son sac et son manteau elle sait où aller. Sa sœur, elle saura quoi faire. Bien mieux qu'elle. Elle n'a presque plus peur le temps d'un instant, pensant qu'elle finira par tout arranger, elle qui lui semble plus forte qu'elle ne peut parfois l'être.