(raff) but baby, running after you is like chasing the clouds

« Daniel, attends, attends, reprends ton souffle et répètes » - les secondes s’égrainent, le souffle devient trop court, les paupières peinent à se refermer, le regard demeure fixé dans le vague, le vague passe de ses iris à son âme, le coeur est là, il bat au bord d’ses lèvres tandis qu’il invoque la force aux tréfonds, il ne doit pas sombrer. Je ne dois pas sombrer, je ne dois pas sombrer, je ne dois pas, je ne dois pas « Raff, t’es là ? » - il ravale le sanglot, il ravale tout, le cri, la colère, l’envie de se défouler sur le mur. Il n’a pas le droit de se montrer faible, pas au moment où tout le monde s’effondre, ô monde, monde s’effondre et il ne peut rien, absolument rien faire pour l’en empêcher. Il pousse un long soupire, masque la tristesse qui lui fait la nique, elle se mue vite en chagrin, il lui paraît insondable, insoutenable alors que Mack pose sur lui un regard inquisiteur, il y lit de l’inquiétude, il sent sa main sur son avant bras et comprend les questions qui passent à travers toutes les expressions que ses traits adoptent. Elles se succèdent et , lui, lui il demeure muet.  A l’autre bout du fil, les pleurs résonnent. Il pense aussitôt à sa nièce, Violet. « Et Vi ? Vi va bien ? » - son beau frère lui apprend qu’ils sont tous encore sous le choc, que l’accident a eu lieu aux abords de Londres et que d’après les médecins, ils n’ont rien pu faire. Il écoute les mots, Raff, sans leur donner un sens. Puis, il n’y a plus de tonalité parce qu’il a rangé son téléphone dans la poche de son blouson réfléchissant, d’un geste mécanique. Il est là, impassible. Il reprend sa place du côté conducteur, Mack assise à côté de lui. Elle le connaît suffisamment pour savoir qu’il est, à ce moment précis, en train de s’enliser dans sa sale habitude d’enfouir tout sentiment qui pourrait foutre en l’air son professionnalisme. Après plusieurs minutes, alors qu’il démarre l’ambulance, il lâche d’une voix dépersonnalisée un simple « Nadja, elle est morte ». Elle est juste morte, juste.


« Attends...t'es pas croyable. Tu te comportes comme ça parce que t'es vexée que je n'ai pas voulu te baiser dans les chiottes ? » - son regard se plante dans l'azur de ses iris. Peut-être qu'il est paumé mais, il pense avoir suffisamment déconné dans sa vie pour s'entêter, même s'il préfère encore l'incertitude à la monotonie invariable d'une relation de couple. Rien que le mot déclenche une intolérance, son organisme refuse d'y prendre part, pourtant, son psychisme complètement cinglé lui dicte le contraire. Elle ne s'embête même pas à lui répondre parce qu'il a visiblement tapé dans le mille. Il prend son silence comme une invite à développer. « L'idée, c'est que ça fait cinq mois que ça dure et que j'en suis à un age où, le trip 'on copule un peu partout et n'importe où' 'ça me fatigue, ça m'ennuie. A un certain moment, il faut donner un gros coup au quotidien pour qu'il n'y ait aucun enlisement, tu comprends ? ». Il a du mal à croire que ce genre de discours grandiloquent à deux balles, pathétiquement adulte, sorte de sa propre bouche. Sachant que la notion de couple n'est qu'un prétexte à un nouveau genre d'aliénation. Pour situer un peu les choses : il n'a fait aucune étude, il lit juste beaucoup. Et peut-être qu'il faudrait ajouter « trop » quelque part dans la phrase précédente. « Alors, tu veux qu'on soit un couple ? » - s'il veut qu'ils forment un couple ? Bordel, non. Enfin, l'idée bien que désagréable ne lui paraît pas si folle. Bizarrement. Elle a l'air mal à l'aise, d'un seul coup. Elle a les joues rouges et elle se tripote les doigts, se les tord dans tous les sens. India parce que c'est comme ça qu'elle s'appelle, la nana complètement tarée qui lui en fait voir de toutes les couleurs et qui, au passage , est la meilleure amie de sa petite sœur, de onze ans sa cadette. « Parce que, Raff, t'es mignon et tout mais, t'es tellement pas une valeur sûre. Tu blagues, hein ? ». C'est exactement le genre de réplique galvaudée qui lui rappelle à quel point, elle l'insupporte parfois. Qui est le con qui a statué sur le fait qu'une génération correspondait à 30 ans  et pas à 11 ? Parce que plus il la côtoie, plus il a l'impression que tout un monde les sépare. « India, je crois que ce que j'essaye de te dire c'est que, toi et moi , ce ça qui se joue entre nous, c'est peut-être le moment d'y mettre un terme ». Voilà, il a formulé l'idée. Et il se sent aussitôt plus...léger. Pas de là à siffler la mélodie du bonheur, pas loin quand même. India rit, c'est là une forme d'expression du déni. Il se relève alors, prêt à quitter ce boui-boui où ils ont pris leur habitude, une planque parmi les dix autres planques où ils ont fini par imposer leurs marques. « Tu me plaques ? » - les paupières se plissent, Rafferty hésite entre se carapater ou rester là, lui apporter les réponses qu'elle semble attendre. « India, imagines ce que Marnie pourrait en penser » - bel enfoiré, tout de suite, il invoque l'excuse la plus bidon qui puisse exister, la raison de leur rupture serait sa sœur, hein ? Elle était passée où, la raison, ces quatre derniers mois lorsqu'il se tapait la meilleure pote ? Quelque part, pas dans l'instant présent. « Tu fais chier, Raff. Vraiment. T'invoques le pire motif qui puisse exister parce que, t'es juste trop lâche pour assumer ». Il rêve où elle lui sort une technique de psychologie inversée ? « Pardon ? Il est hors de question que j'endosse le rôle du méchant dans l'histoire. C'est  purement et simplement factuel ». Il se rassoit. « Tu veux rompre ? »  - c'est pas la deuxième fois qu'elle pose la question ? Il reformule alors, pour être sûr : « Si je veux stopper ce qui se passe ? Ouais. Je te ferai remarquer que je ne suis pas une valeur suffisamment sûre pour qu'on ajoute au packaging l'option 'couple' ». Alors c'est ça ? Son inconscient masculin se rebiffe car sa virilité d'homme a été remise en cause ? Surement parce qu'il est incapable d'accepter de ne pas être l'alpha de son omega à elle. Louche. « Est-ce que tu pourrais laisser tomber ton langage crypté, deux secondes, Raff ? ». C'est la nana qui utilise les mots : topinambour, woulalompa et zip-zip pour désigner respectivement les menstruations, le sexe et le lisseur à cheveux, qui dit ça ? Démentiel. Les gonzesses, décidément. Et évidemment qu'en ce qui concerne cette diablesse, il finit toujours par céder. Pour sa défense, elle possède des arguments balèzes ou peut-être qu'il n'a pas assez de volonté avec son cerveau situé sous ceinture pour lui résister. C'est un bel exemple de politique de l'autruche.

Il ne veut pas se prendre la tête, c'est tout.