and then she disappears.

La voiture filait à toute vitesse sur une route déserte. Il faisait presque nuit. Et elle fixait les paysages qui défilaient. S'arrêteront-ils un jour ? Elle le sentait, près d'elle. Elle ressentait la chaleur qui émanait de son corps sans même le voir. Mais il était bien là. Il tenait le volant, il décidait de la destination. Ils roulaient depuis des heures, et pourtant, Sierra avait l'impression qu'ils avaient quitté Londres quelques minutes auparavant. - Tu crois que tes parents ont remarqué ton absence ? Elle sourit, sans quitter des yeux l'horizon. Il s'était arrêté, au milieu de nulle part, au milieu de partout. - Sans doute. C'est pas important. Elle tourna la tête et se mordilla la lèvre inférieure. Il était beau, ses cheveux bruns qui reflétaient les rayons rougeâtres du soleil couchant, ses lèvres pleines, ses yeux noirs aussi doux qu'agressifs. Ils se fixèrent, pendant quelques secondes, minutes, heures. Peu importe. Elle ouvrit la portière et s'échappa de la voiture. Il la suivi à l'extérieur, il le faisait toujours. Il lui couru après, dans l'herbe haute, et l'attrapa à la taille pour la faire tomber. Doucement, brutalement. Et il l'embrassa. Lèvres contre lèvres, corps contre corps. Les doigts dans ses cheveux, une main sur sa nuque, elle lui rendit son baiser comme si c'était le dernier. Le souffle lui manquait déjà, mais elle ne voulait pour rien au monde cesser de le toucher. Elle caressait, pressait, griffait chaque parcelle de sa peau à mesure que leurs peaux nues fusionnaient. Ils ne faisaient qu'un. Pour la dernière fois.

Ed, il s'est tiré une balle. Simplement. Une demi-seconde, et c'était terminé. La veille, il lui avait demandé de lui faire confiance. Il le disait, souvent, tout le temps. Fais-moi confiance. Et elle le faisait, aveuglément. Depuis des mois, depuis des années il était là, près d'elle. Elle l'aimait au point que son cœur semblait exploser à chaque fois qu'il posait ses yeux noirs sur elle. Sa mère, elle disait que c'était un amour à sens unique. Qu'il était trop secret, trop mystérieux. Elle s'en fichait, Sierra, parce qu'elle ne le voyait qu'à travers cet amour inconditionnel. Et il l'aimait, elle le savait. Ed s'est tiré une balle. Il est mort. Il l'a abandonnée. Et elle ne saura jamais pourquoi.

Elle se souvient de son corps, douloureux. Du pan de mur de sa chambre d'adolescente que ses yeux fixaient, mais qu'elle ne regardait plus vraiment. L'odeur de transpiration, lorsque sa mère n'a plus pris la peine de la porter jusqu'à la salle de bain. Le vide dans sa poitrine, dans son regard, dans chaque parcelle de ce qu'elle était, là, allongée sous des draps sales, le sandwich de l'avant-veille qu'elle n'avait pas touché, comme tous les autres, posé sur la table de nuit. Elle se souvient de l'ombre de sa mère sur le papier peint jauni, sur lequel les cadres qu'elle avait arraché dans une crise de colère avaient laissé des traces. Son brushing parfait et ses tailleurs gris. Ses yeux à elle, toujours si embués qu'elle ne le remarquait même plus. La voix de son père, comme à des milliers de kilomètres. C'est pas en restant dans son lit qu'elle risque d'avancer. Celle de sa mère, qui avait cessé de la défendre après quelques semaines. L'envie de ramasser le morceau de verre qui dépassait de sous la commode, oublié par la femme de ménage, mais la force manquante de ne serait-ce que tendre le bras.

La lumière du soleil lui brûlait la rétine, trop habituée à l'obscurité de sa chambre rose dont elle avait arraché la moitié du papier peint. Et que personne n'avait pris le temps de nettoyer. Son corps à peine assez fort pour se tenir debout, parce que sa mère avait arrêté d'insister, de poser ces foutus sandwich chaque jour sur la table de nuit, lorsqu'elle passait encore le pas de la porte. Personne n'avait pris le temps, pour elle. Elle avança sur le porche, les quelques marches, l'herbe entre ses orteils. Elle avait pris une douche, ce matin. Elle avait ouvert les yeux, et s'était levée, les muscles endoloris de n'avoir plus bougé pendant si longtemps. Des jours, des semaines, des mois peut-être, elle ne savait plus, elle avait arrêté de compter lorsque la réalité l'avait frappée : elle voulait mourir. Mais ce matin, elle s'était levée. Elle avait pris une douche, s'était habillée. Avait marché jusqu'au premier fast-food, lentement, les yeux plissés, les traits marqués par la perte de poids. Ceux qui partent n'ont jamais été là. Elle, elle était là.

La valise la heurta de plein fouet, alors que les cris résonnaient de partout, les siens surtout, si fort qu'elle n'était plus sûre de réellement les entendre. Sa mère, debout à quelques pas, s'agitant dans tous les sens alors que Sierra, elle hurlait des obscénités dont elle pensait chaque mot. Son père, plus loin, parce qu'il n'avait jamais été près, attendant patiemment que sa fille quitte le domicile familial. Sans doute bien trop heureux de la voir partir en vrille, lui donnant enfin une excuse pour l'obliger à partir. Sa mère pleurait, de colère, de peine, Sierra n'en savait rien. Elle les haïssait, de tout son être, si fort que ça faisait mal. Mais ce soir-là, elle était partie, pour de vrai, pour de bon peut-être. Dans son sac, la grosse poignée de billet qu'elle avait pris sans crainte dans le coffre de la cave. C'était tout. Pas un au revoir, pas un pardon. Juste une porte qui claque, une famille qui se détruit, et elle, seule sur les routes qu'elle ne connaît pas.