il faut être soi-même mais tu as intérêt à être dans la norme. (levi&antigone)

Les poumons en feu après la soirée folle qu’il venait de passer, ses jambes peinant à tenir la distance, Levi avançait tel une âme en peine à la levée du jour. Comme tous les jours de cette semaine, le brun avait traversé la nuit à l’instar d’une étoile filante déchirant le ciel. Les verres s’étaient enchainés, la poudreuse aussi, emplissant le thorax de l’ancien soldat jusqu’à ce que la douleur ne fasse place à une légèreté rarement là. L’air hagard, les prunelles totalement éteinte derrière les verres fumés empêchant ses rétines de se faire agresser par la lumière, dans son costume d’apparat le Fitzroy donnait l’impression qu’il allait conquérir le monde. Son costume hurlait la débauche alors que ses chaussures à deux cents livres la paire dégueulaient le mépris que les gens de son acabit possédaient pour le monde. Une main pressée contre son buste, un geste instinctif dont il peinait à se défaire, Levi tentait toujours d’endiguer le flot carmin que les balles avaient réussie à faire couler. Des mois après, même si la peau avait cicatrisée, l’homme était incapable de ne pas protéger son flanc s’étant ouvert si aisément six mois plus tôt. Dans sa quête de quiétude, cherchant à faire taire l’ouragan qu’abandonnaient ses nuits de débauche au milieu de son crâne, le calme du port rappela au brun des ailleurs meilleurs. Les vagues l’ayant portée loin de l’Angleterre, les vagues l’ayant ramenée au pays. Il ne la reconnu pas. Pas tout de suite en tout cas. A sa manière, la belle avait perdu un peu de sa superbe, un peu de ce halo bleu doré dont le gamin l’avait affublé dans sa mémoire. Elle brillait, mais autrement l’Antigone. Gone, avec son cœur. Partie sans demander son reste, sans attendre suppliques pitoyable d’un gamin aimant trop que pour lâcher prise. Il ne la reconnu pas avec ses centimètres en moins, avec le fauteuil en plus. Les mains dans les poches, une douleur sans nom toujours perdue dans le thorax, il récupéra une cigarette dans la poche de sa veste hors de prix et recouverte de champagne avant de la porter à ses lèvres. Allumant la cancéreuse, c’est la blonde qui l’attrape, le mit face à l’insurmontable. Il l’aurait remarqué, certainement. Il l’avait trop aimé que pour arriver à lui passer à côté. Les relents de sa nuit en boite ainsi que le trop plein qu’il avait consommé, avec lequel il s’était consumé, devait lui jouer des tours. Fronçant les sourcils, sa voix manqua de panache, un voile de fumée l’empêchant de parler clairement alors qu’un son rauque s’échappait de sa gorge : « Antigone ? Qu’est-ce que tu fais là ? » La surprise était sincère, la mauvaise foi aussi. Il contemplait sa chaise en se demandant si son ancienne fiancée était comme lui, un objet défectueux, une pièce de mauvaise qualité s’étant brisée sous la pression. L’amertume rendue fluide à cause de l’alcool, il ne pouvait s’empêcher d’apprécier le fait qu’il n’était peut-être pas le seul à avoir été écrasé par la vie. « Personne m’a dit que… » T’étais de retour. T’avais une chaise roulante. Tu serais plus belle que dans mon souvenir.

Retirer sa paire de lunette de soleil s’apparentait à retirer sa carapace, un bouclier lui permettant de rester à distance du monde. Néanmoins, Levi avait besoin de le voir de ses propres yeux, besoin de contempler ce que le monde avait fait à la princesse de ses plus tendres années. Elle non plus n’avait pas été épargnée par la vie et derrière cette complaisance coinçant les mots au fond de sa gorge, il ne pouvait s’empêcher de songer qu’au moins il n’était pas le seul. Il n’était plus seul. Elle hésita un instant, elle aussi les mots restant calée au fond de sa trachée. Il avait envie de rire. Rire devant cette ironie leur faisant face, depuis quand n’avaient ils plus les mots ? Depuis quand ne leur suffisait-il plus d’un coup d’œil pour entrer en connivence ? Ils se balançaient leur bienséance au visage, prétendant l’étonnement comme si l’autre n’était qu’un sacré mirage. L’alcool dans son sang lui donnait envie de gronder, de grogner. En définitive, ce fut un rire sec qui s’échappa de ses lippes fendues par l’amusement. Infirme. Comme si parce qu’elle était dans un fauteuil roulant le monde arrêtait d’être à sa portée. Infirme, comme s’il ne suffirait que ça pour l’arrêter. C’était lui l’infirme, l’amputé du cœur, des bras. Lui qu’on avait vidé de l’intérieur et qu’on laissait se répandre inlassablement au sol tel un Prométhée des temps modernes. Le brun ne parut même pas gêné d’ainsi rire au visage de son ancien amour. Portant sa clope à ses lèvres, c’est en mâchonnant ses mots qu’il répondit sans fausse amabilité : « J’allais dire beaucoup de chose, mais pas ça. Si tu veux que je m’apitoie sur ton sort, me faudra plus qu’une clope à cette heure-ci. » Il y avait quelque chose de dur chez Levi. Quelque chose de plus dur qu’autrefois, à croire qu’on avait fait couler du béton dans ses blessures afin de le garder en un seul morceau. A croire que toute l’ingénuité du gamin plein d’espoir s’était transformée en l’amertume d’un homme aux trop nombreux déboires. Son visage se crispe en un rictus sombre lorsqu’elle s’enquiert de son état. Il avait pas envie d’en parler le brun, pas envie d’afficher les cicatrices dans le but de décider qui était le plus à plaindre. Pourtant, il ne pouvait pas mentir. Pas quand ses yeux ressemblaient à l’océan en pleine tempête. « Je vais aussi bien qu’un ancien militaire sans emploi. » Sa langue était volatile, l’ancien s’échapper trop aisément le contenu de sa pensée. Il en aurait presque rit Levi si ça n’était pas si tragique. Deux étrangers portant encore leur costume d’amants. Deux amants se cachant sous les traits d’étrangers. Le monde avait un humour incompréhensible et le brun peinait à comprendre cette blague du destin. Les yeux rivés sur la mer, contemplant cette étendue d'eau portant les coeurs égarés vers d'autres rivages. Et lui qui restait cloué là, incapable ne serait-ce que d'imaginer où aller. « Pourquoi revenir à Appledore ? » Alors que le monde était encore à portée de doigts, alors qu’ailleurs lui avait paru toujours si tentant. Pourquoi quand fuir était la chose qu’elle faisait le mieux ?