(ezra) before we go

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For I look around me
And it seems you've found me
And it's coming into sight
As the days keep turning into night

Elle a les cheveux collés à la nuque d'avoir trop dansé. Elle a le cœur recroquevillé dans sa poitrine, parce que Johnny est parti sans elle, sans doute avec une autre fille. Peu importe. Elle est même pas sûre de savoir quand il a quitté la boîte. Elle joue machinalement avec les traces d'eau que son verre de mojito qu'elle n'a pas encore touché a laissé sur le bar, le crâne appuyé contre sa main. Il est tard, plus tard que d'habitude, les derniers clients partent et elle sait qu'elle le devra aussi. Elle, elle peut pas rentrer. Elle a nul part où rentrer, sauf si elle veut prendre le risque d'encore surprendre son supposé petit-ami avec quelqu'un d'autre. Elle se mord la lèvre, un peu trop violemment peut-être, comme si ça peut effacer toute cette histoire. C'est là qu'il apparaît. Ezra, ses cheveux en bataille, ses yeux noirs, et le sourire immédiat sur le visage de Sierra. Parce que c'est un réflexe, d'afficher une rangée de dents parfaite en toutes circonstances, ou parce qu'elle est heureuse de le voir, elle n'en sait rien. - Heeeeey, beau-gosse. Je t'ai pas vu de la soirée. C'est l'autre barman qui m'a servie. Il manque le citron dans mon mojito. Elle fait mine de bouder, mais elle s'en fiche du citron. C'est lui qu'elle n'a pas vu, et il vaut bien tous les citrons verts du monde. Elle se redresse rapidement, calant une mèche de cheveux derrière son oreille droite. Elle hésite. Elle devrait partir, elle le sait. Ezra, il a pas besoin d'elle, elle ne le connaît même pas, en vérité. Et lui non plus. Alors elle se mord l'intérieur de la joue, serrant ses doigts autour de son verre encore intact. - Tu termines bientôt? Elle lui jette un coup d’œil nerveux, parce qu'elle a peur de lui dire qu'elle ne veut pas rentrer chez elle - chez Johnny, et qu'elle ne veut pas rester seule non plus. Elle a soudainement envie de lui dire d'oublier, de prendre ses affaires et de partir. Elle espère juste que l'assurance feinte qui lui colle désormais à la peau efface ses doutes, qu'il ne voit rien, comme pesonne ne voit jamais rien. - Johnny avait des trucs à faire. Il est rentré. Sans moi. Elle a dit ça comme si c'était parfaitement normal. Pourtant c'est la première fois que ça arrive, ici au Hideout. Elle attrape la petite paille noire dans son verre, en sifflant la moitié d'un seul coup, pour se donner du courage peut-être. - Du coup, si tu veux, je sais pas, qu'on aille marcher ou peu importe. Elle veut juste ne pas être seule, pour une fois. Elle ajoute, dans un rire qu'elle veut détendu, se penchant un peu en avant : - Sauf si t'as quelque chose de prévu, évidemment. Elle lui lance un clin d’œil espiègle. Peut-être qu'il a quelqu'un, lui, qui l'attend quelque part. Elle en sait rien, elle le connaît pas Ezra. Comme lui, tout ce qu'elle sait c'est ce qu'il a bien pu lui dévoiler dans leurs échanges parfois trop rapides au bar. Ce qui revient à pas grand-chose, finalement. Mais elle espère ne pas avoir à essuyer un refus. Elle sait pas trop comment elle réagirait. Elle sait juste qu'elle ne veut pas. Pas un autre, pas ce soir, pas de lui.

you should let me love you, let me be the one who, gives you everything you want and need

Ezra, il en avait marre de bosser dans cette boite. Il en avait marre d'avoir les oreilles qui bourdonnent en permanence, des clients un peu trop beurrés, de terminer sa journée quand celles des autres commencent. Il vivait en marge du monde, en marge de sa propre vie, abasourdi par la mauvaise musique et noyé dans l'odeur nauséabonde de l'alcool et de la transpiration. Une odeur qui lui collait à la peau, peu importe le nombre de douches qu'il prenait. Et pourtant, dans toute cette noirceur, il y avait Sierra, son rayon de soleil. Il avait bien du mal à l'admettre, mais elle était ce qui lui permettait de tenir du matin jusqu'au soir. Elle lui donnait une raison d'exister. Et tous les soirs, il espérait la voir franchir la porte, se déhancher sur la piste ou venir commander son mojito habituel. Et même si elle venait pas, cela lui faisait toujours une bonne raison de venir travailler. L'espoir de la voir. Ce soir-là, le hideout était plein à craquer. Les commandes fusaient dans tous les sens, si bien qu'Ezra et ses collègues avaient bien du mal à s'en sortir. Le jeune homme en avait même oublié de vérifier si Sierra était venue ou non, chose qui était bien loin d'être anodine, pour lui. Et soudain, après quelques heures plutôt éprouvantes, il la vit dans cette marée humaine. Elle et ses grands yeux. Elle et ses mèches dorées. Elle et son sourire à en faire rougir le plus pieux des hommes. Et lorsque son regard se posa sur elle, Ezra fut partagé entre le soulagement de la voir, et l'angoisse de lui parler. Il se sentait ridicule à avoir la boule au ventre, comme s'il était une adolescente de quatorze ans, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Elle lui faisait un effet monstre et il pouvait s'entêter à le nier, il y avait des signes qui ne trompaient pas. Quand elle l'appela 'beau-gosse' son cœur manqua un battement alors qu'en temps normal, il détestait les surnoms. Mais sortit de sa bouche à elle, tout passait mélodieusement, comme le chant d'un colibri. Et rien que pour avoir des pensées comme ça, Ezra avait envie de se foutre des claques. - C'était le feu ce soir. Et ouais, c'est normal, c'est un con, dit-il en levant les yeux au ciel. Ezra, il s'en foutait bien de se faire entendre. De toute façon, il n'aimait personne, ou presque. - Dans vingt minutes et j'ai bien hâte. J'en ai marre de servir des verres à ces abrutis, qu'il balança en débarrassant les verres vides et collants qui siégeaient au dessus du bar. Une femme lui lança un regard noir après avoir entendu ses propos et il se contenta de répondre avec son sourire du roi des petits cons. Très peu s'attiraient les faveurs du jeune homme. Et Sierra, elle les avait toutes. Mais lorsqu'elle évoqua le nom de son imbécile de copain, Ezra serra la mâchoire, faisant mine de continuer à débarrasser. Prêtant l'oreille, sans réellement la prêter. C'était un dur retour à la réalité. Une piqûre de rappel. Elle était avec quelqu'un et cette personne n'était pas lui. Il devait se faire une raison, passer à autre chose. Surtout qu'elle était une presque inconnue et qu'il ne s'était jamais rien passé entre eux. Mais lorsqu'elle lui proposa d'aller faire un tour, il laissa tomber la raison pour écouter son cœur. Il en avait envie. Et Ezra, il était du genre à céder à ses désirs. - Crois-moi, j'ai rien de mieux à faire là, dit-il en lui adressant un petit sourire. Puis, il se tira. Sans rien dire à personne, de toute façon, il détestait ses collègues. Arrivé de l'autre côté du bar et une fois près d'elle, il lui murmura à l'oreille : - On se tire ?

Ezra, il est imprévisible, insolent parfois. Il dit ce qu'il pense, quand il parle. Il est mystérieux, intriguant, il est je-m'en-foutiste et en même temps il fait attention à tout. Sierra, elle aime sa spontanéité, son sourire et ses yeux bruns sévères, qu'il lui octroie son supplément de menthe, caprice inutile sur lequel elle a pourtant insisté, au risque de passer pour ridicule. Elle le regarde nettoyer le bar à une vitesse folle, tendant pourtant l'oreille pour l'écouter. Parce qu'il l'écoute, et il est bien le seul. Elle lâche un petit rire quand il insulte son collègue, un crétin qui lui a fait des avances pas très élégantes, un soir, qu'elle a gardé pour elle parce qu'elle ne voyait pas l'intérêt de le raconter ; puis un autre, lorsqu'il offre ce sourire insolent à une cliente pas assez pressée au goût de Sierra. Vingt minutes, c'est pas si long, c'est une éternité, et peut-être qu'en vingt minutes, il décidera qu'il préfère rentrer chez lui, seul. Elle sirote son mojito comme si c'était du sirop de grenadine, trop nerveuse pour ajouter quoi que ce soit. Elle n'est jamais nerveuse, Sierra, pourtant. Elle a le regard aguicheur et la démarche assurée, d'habitude. Mais ce soir-là, elle a peur d'un refus, elle a peur de rentrer seule, de ne pas rentrer du tout. Il n'a rien de mieux à faire, et son cœur cesse de battre la chamade, ou accélère un peu plus, elle sait pas trop. Elle affiche une mine déconcertée en le regardant faire le tour du bar, pour venir se poser à côté d'elle, plus près qu'il ne l'a jamais été. Il se penche, et elle fixe le vide lorsqu'il lui dit on se tire, et elle tourne son visage vers le sien, à quelque centimètres, le regard malicieux et le sourire aux lèvres. - Maintenant ? Ok. Elle saute du siège, baissant sa robe au maximum, parce que Johnny n'est plus là pour lui dire qu'elle est pas assez courte, et attrapa son sac à la volée. Elle attrapa les doigts d'Ezra dans les siens, parce qu'elle est comme ça, Sierra, trop tactile, elle touche les gens dès qu'elle en a l'occasion, et c'est la première fois qu'elle le fait, avec Ezra. Pour de vrai, plutôt, parce qu'à part lorsqu'il lui donnait son verre ou sa dernière playlist, ils ont toujours été séparés par le comptoir. Elle se laisse entraîner dehors, et la fraîcheur de l'air la frappe aux joues. Elle est partie sans veste, parce qu'elle ne pensait pas rentrer seule, et que Johnny lui prête toujours la sienne d'habitude, mais là, elle se fiche pas mal de sa veste, ou de n'importe quelle veste. Le froid pourrait bien lui geler les os qu'elle n'en dirait pas un mot. Elle avance dans la rue mal éclairée, incertaine de leur position dans la ville mais ça aussi, ça lui passe au-dessus, serrant par réflexe la main d'Ezra, qu'elle n'a pas encore lâchée. - Bon alors, Indiana Jones, où est-ce qu'on va ? Elle se tourne face à lui, marchant à reculons. Elle donne trop de surnoms, Sierra, elle n'est pas sûre qu'il apprécie, mais ça lui vient tout seul, toujours. Elle hausse les sourcils, deux fois, comme pour rendre visible l'excitation qu'elle ressent à ce moment-là. D'habitude, les rues elle les arpente seule, les mains dans les poches. Elle lâche enfin sa main pour quitter ses chaussures et sauter sur un muret à deux pas, marchant le long comme une équilibriste, son sac dans une main, ses talons dans l'autre. Elle regarde ses pieds, à mesure qu'elle avance. - Dis-moi, Ezra Keaton (elle insiste sur son nom, parce qu'elle se rend compte que c'est peut-être la première fois qu'elle le prononce), qui es-tu derrière ces cheveux en bataille. Elle s'arrête pour le regarder, un sourire malicieux aux lèvres. - C'est vrai quoi, tu sais plein de trucs sur moi, mais moi je sais rien, c'est pas cool. Ce qu'elle sait, c'est qu'Ezra, il est spontané, et c'est tout ce dont Sierra a besoin, là, tout de suite.

Ezra, il est pas du genre tactile. Il aime pas non plus qu'on se permette des familiarités avec lui, mais lorsque Sierra passa ses doigts dans les siens, il ne trouva rien à y redire. Au contraire, il trouva même cela agréable. Enfin, s'il n'avait pas été hanté par l'idée qu'elle avait déjà un mec et que c'était, malgré tout, assez déplacé comme geste. Peut-être qu'il était un peu trop vieux-jeu, ou borné. Les deux, sans doute. Mais le fait est que ce geste, probablement anodin aux yeux de Sierra, lui laissa un goût amer en bouche, même s'il fit comme si de rien était, la suivant dans sa folle course. Appledore était bien différente de nuit. Plus calme, moins terne, comme si les étoiles donnaient du caractère aux rues pavées. En tout cas, il n'y avait pas un chat et la voix cristalline de Sierra résonnait entre les petits immeubles qui les entouraient. Elle lui demanda s'il avait une idée d'endroit en tête, une destination où se rendre. Mais à vrai dire, il n'avait pas réellement réfléchi à la question. Il y avait bien le bord de mer, mais il faisait trop froid à cette heure-ci de la nuit. Un bar ? Tout était fermé. Bien sûr, il avait également songé à son appartement, mais cela faisait mauvais genre. Il n'avait pas envie qu'elle se fasse des idées. Alors, il songea à un endroit ouvert de jour, comme de nuit. Ce n'était pas une très bonne idée, mais ça ferait sans doute l'affaire. - Suis-moi, dit-il un sourire aux lèvres tout en changeant de direction. Soudain, il percuta le surnom. Un nouveau, décidément. - Pourquoi Indiana Jones ? Pas que ça me dérange, parce qu'il est quand même bien badass et qu'il a toutes les meufs, mais là, non vraiment, je vois pas... Dit-il en posant son regard sur elle. En réalité, il cherchait toujours à essayer de la comprendre. Elle et sa façon de pensée, parce qu'elle semblait comme tout droit sorti d'un autre monde, d'un autre univers. Et il rêvait d'en faire partie. Alors qu'il crut deviner un frisson, il s'arrêta de marcher un instant. - Attends, tiens, prends ça, qu'il dit en enlevant sa veste en jeans pour venir la lui poser sur ses épaules délicates. Ezra, il avait un peu l'air d'un rustre et il n'avait pas un langage des plus raffinés, mais il savait traiter les femmes avec respect, enfin, c'est ce qu'il aimait à penser. Vu les manières de Johnny, le crétin qu'elle se trimbalait, il s'était souvent dit qu'il ferait mieux que lui. Mais ce n'était pas à lui d'en juger. Ce n'était pas sa relation, après tout. Une fois la veste prêtée à la jolie blonde, il se mirent à marcher à nouveau. Finalement, elle lâche sa main. Violente désillusion. Il s'y était habitué, au point d'aimer cela. Dur retour à la réalité. Mais la douloureuse séparation fut bien vite envolée quand il la vit faire l'équilibriste sur un muret à côté. Elle était si belle au clair de lune, fatiguée d'avoir trop essayé. Essayé d'échapper au temps, aux gens, à la vie. Ezra, il se posait toujours tout un tas de questions sur elle. Et elle semblait être intriguée par lui, aussi. Lorsqu'elle parla de ses cheveux, il ne put s'empêcher de passer sa main dedans, comme pour les remettre en place. Vilain réflexe. Inévitable, ceci dit. Il n'aimait pas vraiment parler de lui, alors, il évita la question, répondant seulement : - Regarde, on est arrivé, qu'il fit remarquer en pointant du doigt l'église de la ville. C'était pas l'endroit rêvé, mais c'était calme et ouvert.

Elle le suivrait n'importe où ce soir-là. La faute à l'alcool, la solitude, la nuit peut-être, elle ne sait pas trop. Elle a l'esprit un peu embrouillé, plus que d'habitude. Elle a le cœur en berne, l'envie de fuir, aussi, loin très loin, aussi loin que possible, mais pas seule. Elle sourit, elle le suit, peu importe l'idée qu'il a derrière la tête, elle fonce tête baissée et tant pis si elle se fait avoir, si elle s'est trompée, ça ne pourra jamais être pire. Elle garde ses doigts entre les siens, sans réellement savoir pourquoi, peut-être parce qu'elle a peur qu'il disparaisse si jamais elle le lâche, et pourtant, elle le lâche. Ezra, le mystérieux, le ténébreux, l'aventureux. Voilà pourquoi, Indiana Jones. Elle relève le menton, moue satisfaite collée au visage. - "Badass et qui a toutes les meufs", c'est exactement ça. Et aussi parce que t'es un grand mystère.Elle fond ses yeux dans les siens, comme pour appuyer ses propos. Un mystère, un secret trop bien gardé. Sierra déteste les secrets, parce que les siens la ronge de l'intérieur. Et puis, il s'arrête pour retirer sa veste, et la poser sur ses épaules, et Sierra le laisse faire sans un mot, la sensation d'un geste familier qui pourtant paraît étranger. - Merci, elle dit d'une voix si minuscule qu'elle n'est même pas sûre qu'il l'aie entendue. Elle aime la douceur de son geste, elle si habituée à la brutalité de Johnny. Pourtant, il ne lui a jamais fait du mal, pas physiquement. Mais il est grand, et baraqué, et il a des manières qui se veulent gentleman, mais qui ne sont que brusques. Elle pouffe lorsqu'il passe sa main dans ses cheveux, comme un réflexe pour lui prouver qu'elle a tort. Mais il ne répond pas, et se contente de pointer du doigt un lieu que Sierra ne regarde pas encore, trop occupée à fixer ses yeux bruns pour y dénicher quelconque réponse. Quand, enfin, elle s'en détache, et qu'elle se tourne, elle a comme un arrêt, bouche entre-ouverte et yeux écarquillés. Une église. - Une église ? Elle tourne son visage vers celui d'Ezra, éclairé par la lumière de la Lune et d'un lampadaire semi-grillé, incrédule. - Une église, elle répète, une affirmation cette fois. - Tu crois en Dieu ? C'est une question sérieuse, elle veut savoir. Parce qu'elle, elle n'y croit pas. Parce que s'il y avait un Dieu, pourquoi laisserait-il les gens partir. Pourquoi la laisserait-il seule. Elle avance doucement vers le petit bâtiment, sans aucun doute vide à cette heure-là, et elle a le cœur qui se serre et l'envie de prendre à nouveau la main d'Ezra. - T'es sûr qu'on a le droit ? Je suis même pas baptisée. Elle lâche un petit rire. Elle ne croit pas en Dieu, pourtant, elle a peur d'y entrer, dans cette église. Peur de ne pas être la bienvenue, parce qu'elle a tout fait de travers, et qu'on ne la pardonnerait pas. Alors elle s'arrête à quelques pas de l'entrée, et elle se contente de jeter un œil autour d'elle. Le lampadaire qui s'apprête à mourir, l'obscurité, les étoiles, la Lune, vers laquelle elle tend son visage, et au milieu de tout ça, Ezra. - T'as pas répondu à ma question, au fait. Dis-moi un truc sur toi. Genre, je sais pas, ta passion dans la vie, ta famille, si t'as une copine, n'importe quoi. Elle attend sa réponse, le regard perçant, perchée sur les marches de l'église, repoussant l'échéance, comme si elle était en sécurité seulement hors de ses murs sacrés, aussi paradoxal que ça puisse paraître.

Il s'amusa de son air étonné. Oui, une église. Et pourquoi pas ? - Je crois pas en Dieu. A vrai dire, je ne me suis jamais posé la question, dit-il. Voilà, elle avait eu ce qu'elle désirait, elle savait finalement une chose à son sujet. Non, il n'était pas croyant. Et même s'il respectait les gens qui l'étaient et ce bâtiment, il n'avait aucun mal à s'y rendre quand le vent soufflait trop fort et qu'il n'avait nulle part ailleurs où aller. Il rit à sa question. Elle était belle, l'air inquiet, les sourcils un peu froncés. Elle était belle tout le temps, en réalité. - Je pense qu'il doit y avoir un truc dans la bible qui parle de l'acceptation de tous, non ? Et puis, si tu n'es pas croyante, ça ne devrait être qu'un simple bâtiment pour toi, rien de plus, répondit-il en sortant une cigarette de son paquet, face à la réticence de son acolyte de la soirée. Il l'alluma pour lui donner un peu de répit avant d'entrer en terre inconnue et interdite. - T'es curieuse Sierra, dit-il, un sourire en coin alors qu'il avait levé la tête pour admirer les étoiles. Mais malgré leur beauté, rien n'était plus à couper le souffle que les yeux de celle qu'il aimait en secret. Aimer ? C'était un bien grand mot. De ceux qui font peur. Mais c'est tout ce qu'il lui venait quand il pensait à elle. - Je n'ai pas de copine, lâcha-t-il naturellement, en recrachant sa fumée de cigarette. De toutes les questions, il avait trouvé bon de ne répondre qu'à celle-là. - Contente ? D'avoir eu une réponse, quelque chose de personnel à son sujet, non pas de ce qu'il avait répondu. Enfin, une partie de lui aurait aimé savoir si elle était effectivement heureuse de le savoir célibataire, même s'il en doutait fortement. - Allez viens, il balança son mégot sur le bitume puis il l'entraina avec elle à l'intérieur de l'église. Il faisait à peine plus chaud à l'intérieur, mais au moins, le vent marin ne leur mordait pas le visage. L'église de la ville n'était pas bien grande, voire même minuscule, mais elle avait le mérite d'être chaleureuse et calme, loin des vieilles bâtisses gothiques qui pouvaient faire froid dans le dos. Ezra s'assit sur l'un des bancs, étendant ses jambes au dessus de celui d'en face, faisant signe à la jeune femme de venir s'asseoir près de lui. - Au moins ici, c'est calme, dit-il en repensant à l'ambiance infernale qu'il avait à subir tous les soirs, au boulot. Il mourrait d'envie de lui dire qu'elle était le seul point positif à ce boulot minable, mais il ne tenait pas à ce qu'elle prenne peur. Après tout, elle ne le connaissait pas tant que cela. Elle connaissait le serveur, mais elle ignorait pas mal de choses à propos de l'homme, de lui, d'Ezra. - Je me demande comment font les gens pour croire inlassablement. Je veux dire, pour avoir la foi. Je respecte, j'aimerais avoir cette capacité à espérer, confia-t-il en regardant un peu partout autour de lui. Ezra était du genre pessimiste et il est vrai que la patience et l'optimisme n'étaient pas ses points forts et pour autant, Sierra les lui apprenait malgré elle. - Pourquoi t'es avec un mec comme Johnny ? C'est un con de t'avoir laissé, ce soir, cracha-t-il comme une bombe sortie de nulle part. Il était comme ça, Ezra, toujours à dire ce qu'il lui trottait dans la tête, sans pour autant réfléchir à l'impact de ses mots ou s'ils étaient appropriés ou non. Il avait une question, il la posait. Et il mourrait d'envie d'entendre la réponse.

Elle hausse les épaules, les bras serrant la veste d'Ezra autour de ses épaules. Il n'est pas croyant, elle ne sait pas si elle l'est. Sa grand-mère l'était, elle le lui rappelait à chaque repas chez elle, le dimanche. C'est peut-être pour ça. Les résidus d'une vieille dame qui menace une enfant de la colère de Dieu, résidus qui semblaient tombés en poussière jusqu'à maintenant. L'acceptation de tous. Elle y pense un petit moment, l'observant allumer sa cigarette, et puis elle hausse les épaules. - T'as raison, je suppose. Il lève la tête vers les étoiles, mais elle, son regard est rivé sur son visage à lui. Elle ne sait pas ce qu'elle préfère, à ce moment exact. Si c'est la nuit, les étoiles, la lumière du lampadaire, l'église, Ezra, ou le tout combiné. Mais elle voudrait que cet instant dure pour toujours, juste eux deux, sans un mot, sans voix qui explose et sans cœur qui menace de brûler. Juste elle, lui, et un ciel d'étoile qu'elle s'attarde à fixer aussi à son tour, en souriant. - Pas de copine, je note. Elle ne le regarde pas, elle ne fait pas attention au soulagement qui la submerge, c'est trop effrayant. - Je m'en doutais. Son regard vrille vers lui, et elle se confond en explications, dans sa tête. - Je veux dire, si t'avais eu une copine, je pense pas qu'elle aurait apprécié que tu passe la nuit avec une inconnue. Puis elle ajoute, parce qu'il semble que tout ce qu'elle dit à ce moment-là n'est que confusions : - J'aurais pas aimé m'attirer ses foudres pour rien. Elle bloqua sa respiration, s'ordonnant de se taire. Elle se sentait stupide, et elle eut envie d'aller se planquer quelque part, loin de lui, loin de tout, juste elle et ses doutes. Mais il l'entraîna dans l’Église, et s'assit sur l'un des bancs comme s'ils n'étaient que des planches au bord d'un lac. Ça la fait sourire, et elle observe un peu les alentours, les vitraux, les cierges, les statues, avant de s'asseoir près de lui, subitement bien plus rassurée en sentant sa présence. Elle le fixe avec étonnement. Elle l'a toujours vu comme un pessimiste, mais jamais autant que là. Elle fixe un cierge allumé, loin devant elle. - Certains ont besoin de quelque chose à se raccrocher, quelque chose qui ne les laissera pas tomber quand tout autour d'eux s'écroulera, quelque chose de stable, qui ne disparaîtra pas. Elle hausse les épaules, comme si elle venait de balancer une simple banalité, comme si ces mots, prononcés de sa propre voix, n'avaient pas pris un sens différent lorsqu'elle s'était entendue les dire. Et ses sourcils se froncent quand son regard se tourne vers Ezra, au ton de sa voix soudain plus dur. Elle n'imaginait pas qu'il parlerait de Johnny. Elle n'a pas envie d'en parler, à vrai dire, ou peut-être que si. Elle défronce les sourcils, son visage reprenant l'expression douce qu'il a toujours. - Il est pas toujours comme ça. C'est pas toujours un con, tu sais. Il est gentil, parfois. Plus souvent que tu ne peux le penser.Elle dit ça pour lui, pour elle, parce que c'est ce qu'elle répond toujours et à tout le monde. Parce que c'est ce qu'elle veut croire, parce que c'est tout ce qu'elle mérite. - Les gens le jugent souvent sur ce qu'ils voient de lui. Mais tu le connais pas. Elle parle comme par automatisme, comme des excuses prêtes à l'emploi qu'il lui suffit de balancer à tout va, sur un ton monotone, plat, et elle veut y croire. Plus que tout, elle veut croire qu'il ne l'abandonnera pas, lui aussi. Qu'il n'est pas si mauvais, et qu'à défaut de l'aimer, peut-être qu'il l'appréciait.