the first cut is the deepest / samuel

I was wondering if after all these years you'd like to meet to go ov-er everything. They say that time 's supposed to heal you, but I ain 't done much healing.

Le retour de Rita Conley avait délié les langues en ville. Comme partout ailleurs, on parlait de ses frasques, de sa vie hollywoodienne et de son mariage raté. Mais, contrairement au reste du monde, Appledore avait été témoin du début de vie d'une jeune femme complètement différente. Douce et délicate, loyale et honnête... Les choses avaient bien changées. Mais les souvenirs étaient tenaces et Rita s'y heurtait violemment un peu plus chaque jour. Poser ses valises dans sa ville natale n'avait pas été de tout repos, malgré ce qu'elle avait pu penser. Loin des plateaux de tournage, loin des flashs et de l'attention médiatique, Rita n'était plus que Rita. Une gamine du coin qui avait tout eu, trop tôt, trop rapidement et sans réelle raison. Depuis son retour, la jeune femme avait ouvert les yeux sur pas mal de choses. Mais il était trop tard pour regretter ses choix, trop tard pour faire marche arrière. Elle s'était laissée happer par ce personnage, par cette vie à laquelle elle n'avait jamais été destinée – finissant par s'y perdre complètement. Debout face à la fenêtre de sa chambre, son regard se perdit sur la maison d'à côté. Ses yeux brulaient à force de ne pas cligner, ou sans doute parce qu'ils ne demandaient qu'à pleurer. - Tu devrais aller le voir, suggéra la voix de la vieille dame avant que celle-ci ne vienne s'installer sur le lit de sa petite-fille. Rita se retourna pour lui faire face, la mine inexpressive, comme si elle s'était empêchée de ressentir quoi que ce soit. Une armure qui ne résistait pas très longtemps à celle qui l'avait élevée – ce qui expliquait probablement pourquoi elle n'avait pas voulu lui rendre visite durant ces dernières années. - Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit-elle en détournant la tête, signe qu'elle mentait. - Oh s'il te plait, ne joue pas à ça avec moi. Je sais qu'il te manque, insista-t-elle en faisant signe à Rita de venir prendre place auprès d'elle. La jeune femme s'exécuta. - Huit ans, grand-mère. On a changé. Tout a changé. Je suis partie, il a fait sa vie, j'ai fait la mienne. C'est... elle s'arrêta un instant avant de reprendre, huit ans. Je suis une inconnue pour lui, à présent. C'est trop tard. Tout était de sa faute. Elle en avait conscience et elle savait également qu'elle n'avait pas le droit de revenir dans sa vie, comme si de rien était et surtout après autant de temps. La vieille dame eut un petit rire attendri avant de prendre la main de Rita dans la sienne. - Ma chérie, écoute-moi, tant que ton cœur bat et que tes poumons se remplissent d'air, il n'est jamais trop tard. Elle déposa un baiser sur son front puis se leva pour aller se coucher. Rita ne tarda pas à en faire de même, hantée par cette conversation, si bien qu'elle peina   à trouver le sommeil. Ses pensées confuses lui faisaient palpiter maladivement le cœur et la tirèrent de son lit à l'aube. Elle en avait presque oublié le chant des oiseaux et le calme à l'anglaise. Mais aussi le silence et l'ennui. Après avoir erré dans sa maison, elle décida finalement d'aller prendre l'air au bord de la mer, profitant de l'heure très matinale pour éviter les jugements et questionnement des regards indiscrets. Après une petite marche d'une bonne dizaine de minutes, elle se laissa finalement tomber sur la plage, retirant ses chaussures pour enfuir ses pieds dans le sable. Rita fixa l'horizon un bon moment, bercée par le mouvement des vagues. Elle savait que la boutique de son ancien meilleur ami ne se trouvait pas loin. Et inconsciemment, sans doute qu'elle espérait le croiser, ou même simplement l'apercevoir. Elle savait qu'il était heureux et fier de son magasin, mais aussi qu'il n'avait pas réellement fréquenté quelqu'un depuis longtemps. Une pensée qui lui réchauffa égoïstement le cœur, même si elle n'avait espéré que son bonheur durant toutes ces années, car il le méritait plus que quiconque à ses yeux. Désespérée à la vue du soleil qui s'élevait de plus en plus haut dans le ciel, elle décida finalement de rentrer à la maison, mais lorsqu'elle se tourna pour récupérer ses affaires par terre, elle vit une silhouette familière à quelques pas d'elle, marchant sur la longueur de la plage. Son cœur rata un battement, puis deux, puis il sembla s'arrêter de battre. Véritable ascenseur émotionnel, Rita ignora quoi dire, quoi faire. S'enfuir ? Après tout, elle était devenue championne dans le domaine. Il était si près, mais semblait si loin. Et Rita crut mourir en revoyant cet amour qu'elle n'avait jamais oublié malgré les apparences. Elle lui adressa une mine désolée, mais n'osa pas en faire davantage, paralysée par l'émotion et la peur du rejet.

I was wondering if after all these years you'd like to meet to go ov-er everything. They say that time 's supposed to heal you, but I ain 't done much healing.

Il était tôt, bien trop tôt pour que tu te trouves dans cette cuisine à préparer des tonnes et des tonnes de glaces. Tu avais le temps, le magasin n’ouvrait que dans plusieurs heures. Et pourtant, c’était ton rituel du matin. Incapable de complètement déléguer cette préparation, tu y mettais ton cœur tous les matins alors que tu laissais les plus jeunes servir les glaces avec des grands sourires. Mais même si tu avais toujours été matinal, cela faisait quelques temps que tes nuits n’étaient plus si tranquilles qu’elles l’étaient auparavant. Même si la grand-mère de Rita ne t’avait pas prévenue, le retour de cette dernière n’aurait pas pu passer inaperçu. Appledore ce n’est pas une petite ville, ce n’est pas une grande ville non plus. C’est une ville assez grande pour ne pas connaître tout le monde, pour perdre de vue beaucoup de gens mais c’est une ville assez petite pour que les natifs du coin se connaissent tous et que les rumeurs aillent bon train. Dans ce cas précis, ce n’était pas réellement des rumeurs, Rita était réellement ici, de retour après un rêve américain brisé d’après ce que tu avais compris des commérages. Tu n’avais jamais été assez masochiste pour prendre un ordinateur et suivre le parcours de celle qui t’avait abandonné sans un mot. Non, tu n’avais jamais eu envi de savoir et le peu que tu savais venait de la grand-mère de Rita. Aujourd’hui, tu habitais dans un petit appartement au-dessus du magasin. Il y avait au moins cela, tu ne devrais pas la croiser n’habitant plus la maison d’à côté. Une maison que tu louais pour payer le centre de désintoxication de ton père. C’était mieux ainsi de toute manière, tu n’étais pas réellement certain de vouloir revoir Rita. Huit années, cela faisait huit années qu’elle était partie … Trop longtemps mais peut-être pas assez ne pus-tu t’empêcher de penser. Oui tu l’avais aimée, une partie de toi l’aimerait toujours mais la revoir … Pour quoi faire ? Avoir des explications ? Huit ans plus tard elles arriveraient bien trop tard. Oui tu avais envi de savoir mais cela n’allait pas atténuer la colère et le sentiment de trahison et d’abandon que tu avais ressenti à l’époque. Non, tu avais justement peur de le ranimer. Le jour n’allait pas tarder à se lever alors que tu disposais les glaces toutes fraîches dans le congélateur pour qu’elles se prennent. Tu avais le temps désormais, le temps de faire ce que tu voulais jusqu’à l’ouverture de la boutique. Alors tu te servis un café dans un verre en plastique avant de décider d’aller faire un tour sur la plage. Le café avait déjà brûlé ta gorge quand tu arrivas sur le sable. Tu enlevais tes chaussures, jetais le gobelet en plastique avant de t’approcher de la mer. Tu aimais quand l’atmosphère était paisible, quand les touristes n’avaient pas encore débarqué pour rendre cette plage cacophonique. Seul, tu pensais l’être. Trop dans tes pensées tu n’avais pas remarqué cette forme au loin assise à regarder les vagues s’écraser une à une. Tu n’y fis pas réellement attention jusqu’à ce que tu sois assez près pour voir que c’était Rita. Tu faillis ne pas la reconnaître, elle avait changé c’était certain mais au fond elle ressemblait toujours à la même Rita que tu avais connu toutes ces années auparavant. Tu la vis se lever, tu vis la surprise sur son visage quand elle te reconnut et puis tu vis d’autres choses que tu ne savais pas réellement interpréter. Tu aurais pu continuer ton chemin mais tu en étais incapable. Et puis il fallait que vous vous parliez un jour alors pourquoi pas maintenant ? Tu t’approchais lentement avant de lui dire : « Hey … » C’était minable peut-être mais tu t’en fichais. Dans cette situation, c’était elle qui était partie. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Sur cette plage, à Appledore, en Angleterre … Question des plus bêtes mais une manière comme une autre de lancer les hostilités.

Son cœur s'affolait dangereusement dans sa poitrine et ses genoux semblaient se dérober sous le poids de cette culpabilité qu'elle avait enfoui et trainé durant toutes ces années. Face à Samuel, Rita n'était plus une starlette au tempérament exécrable et à la vie faussement parfaite. Face à lui, sous ce regard qu'elle n'avait pas croisé depuis des années, elle n'était plus que la gamine d'à côté, celle qu'il avait toujours connu. Bien sûr, ses cheveux étaient plus blonds qu'autrefois et son corps s'était dessiné tout en courbes féminines, mais elle demeurait la même. Au premier coup d'oeil, on aurait pu croire à un saut dans le passé, comme si elle n'avait jamais quitté son Angleterre natal. Mais à mieux y regarder, on pouvait lire dans ses yeux et sur son visage, tous les maux qu'elle avait enduré depuis tout ce temps, mais aussi son innocence envolée. Mais face à cet homme qui n'avait plus rien  de l'adolescent qu'elle avait laissé derrière elle, Rita se sentait étrangement renaitre malgré l'angoisse des retrouvailles car, elle savait que dans les souvenirs de Sam vivait encore la Rita d'avant. Celle qu'elle avait perdu en route et souhaitait désespérément retrouver, même si la vie n'était pas aussi facile et qu'un désir ne devenait pas toujours réalité. Malgré ses fautes et la situation  gênante, Samuel fit le premier pas ce qui eut le don de la mettre encore plus mal à l'aise. C'était elle qui était en tort, mais il trouvait encore la force d'être le plus digne des deux. Alors qu'il lui adressa la parole, un torrent de questions se bousculèrent dans son esprit déjà bien encombré. Il lui parlait normalement, calmement et intérieurement, cela vexa la jeune femme qui en conclut qu'il n'en avait sans doute plus rien à faire. Elle en prit un vilain coup à l'égo, mais surtout un mauvais coup au cœur. Un cœur cabossé qui peinait à battre, mais qui perdait allègrement sa constance à mesure qu'il s'approchait ou qu'elle entendait le son de sa voix. Elle n'avait jamais oublié ce son, ce parfum, ce visage. Si Samuel n'avait pas pensé à elle, il ne s'était pas passé un jour sans que Rita n'ait pensé à lui. Il l'ignorait, mais il avait été sa force dans les moments difficiles, sa lumière dans ses heures sombres. Chaque fois qu'elle s'était vue tomber, Rita s'était raccrochée à ces vieilles promesses, celles qu'ils s'étaient faites, plus jeunes. Et surtout à celles de ne jamais s'oublier, de toujours tout se pardonner. Mais elle lui avait également fait la promesse de ne jamais l'abandonner. Et une promesse brisée entrainait toujours les autres dans sa chute, comme des dominos. - Samuel... ce prénom lui brûla les lèvres. Elle ignorait même si elle avait le droit de le prononcer, après tout ce qu'elle lui avait fait subir.  - Je suis rentrée m'occuper de grand-mère, elle ne se sent pas vraiment bien en ce moment, dit-elle en détournant subitement le regard. Sa grand-mère était sa faiblesse, son talon d'Achille. Et en parler ne faisait que remuer le couteau dans la plaie de sa culpabilité. Rita s'en voulait horriblement d'avoir abandonner sa seule et unique famille. Et cela valait aussi pour Samuel. Une fois certaine que ses larmes naissantes ne couleraient pas le long de ses joues rosées par la brise matinale de l'air marin, la jeune femme reposa finalement ses yeux sur son ancien ami. Bien sûr, elle avait omis de parler de l'échec de son mariage, car cela aurait réveillé bien d'autres conversations et il était sans doute trop tôt pour jouer cartes sur table d'entrée de jeu. - Merci de t'être occupé d'elle. Elle t'adore et je ne sais pas comment te remercier d'avoir... fait ce que j'aurais dû faire ? Elle ne continua pas sa phrase de peur d'avouer ses fautes à haute voix, même si elle avait conscience de tout. - Enfin bref, merci. A ce moment précis, elle eut envie de lui crier ses regrets, ses excuses et ses torts parce qu'elle se sentait incapable de lui demander comment il allait, ce qu'il devenait, comme si rien ne s'était passé. Mais ce n'était pas à elle de mener la danse. Elle n'avait le droit que d'apprécier sa compagnie, au risque de tout faire foirer une nouvelle fois.