( ain't no sunshine when she's gone )

(i'm captain of this sinking boat) Bruits de pas feutrés dans l'appartement, se mêlant aux sanglots distants. Maebh ne lève même pas la tête, lorsque la figure familière de Jeren fait son apparition dans l'entrée du salon. Elle devinerait sa présence, n'importe où, n'importe quand – les yeux fermés, si cela lui était demandé. « J'ai eu ton message. » Quelques mots, réclamant sa présence. En urgence. Maebh venait de se faire larguer. Encore. Comme toujours. Ce n'était pas la première fois, qu'elle tombait amoureuse du mauvais garçon. Ce ne sera sûrement pas la dernière. Et il y a comme une impression de déjà-vu, quand Jeren vient s'asseoir près d'elle, lorsqu'il essuie les larmes roulant sur ses joues avec la manche de son pull. « Je vais pas te dire que j'avais raison à propos de cet idiot. » Il a ce sourire narquois, cet air légèrement supérieur, qui l'énervent autant qui l'amusent. « Mais je te l'avais bien dit, quand même. » Une part d'elle le frapperait, pour cette phrase inutile, dans le seconde qui suit mais à quoi bon ? Il lui avait bel et bien dit que l'homme qu'elle fréquentait était un imbécile fini. Évidemment, elle n'avait pas écouté et résultat, elle était là à ramasser les bouts de son coeur brisé à la petite cuillère, Jeren à ses côtés. « Qu'il me quitte, ok. Pour une autre, déjà, ça commence à faire beaucoup. Mais tu veux savoir le pire dans toute cette histoire ? » Il hoche simplement la tête, tout en extirpant un paquet de mouchoirs de la poche de son jean. « Il est parti avec la télévision et la platine vinyle. » En récitant les méfaits de ce sale briseur de coeur, sa voix part dans les aigus, se brise et elle a ce goût amer, qui vient salir ses lèvres. Maebh se sent si bête. Se mettre dans des états pareils, pour si peu, pour quelqu'un qui n'en vaut même pas la peine, cela n'a pas de sens. « Tu pourras venir squatter le canapé et regarder la mienne. Ah non, c'est vrai, t'as pas besoin de l'autorisation, tu le fais déjà. » Maebh sourit – enfin. Heureusement que Jeren est là. « Ne t'en fais pas. Un de perdu, dix de retrouvés, pas vrai ? Même si au train où tu vas, t'auras bientôt plus personne à retrouver... » Si Jeren se trouve drôle, Maebh, elle, lâche un soupir faussement agacé tout en repoussant son ami. « Désolée de te le dire, mais elle sont toujours aussi nulles, tes blagues. » Le jeune homme fait mine de ne pas avoir compris. « Cora me trouve drôle, elle. » est le seul argument qu'il trouve pour sa défense. « Cora a quatre ans. » L'intonation de Maebh change lorsqu'elle énonce l'âge de sa filleule, comme pour souligner son propos. Jeren lève un sourcil, sans pour autant réfuter les dires de son ami. Au contraire. « Et elle a déjà beaucoup plus d'humour que toi, n'est-ce pas triste ? » Comme une enfant, comme avant, Maebh lui tire la langue. Alors, Jeren se lève, « Allez, viens, on va au pub. Je t'invite. » Il n'en faut pas plus pour faire sortir Maebh de chez elle et surtout,  de sa torpeur. Elle attrape sa veste, puis la main de Jeren. Si il y en a bien un qu'elle n'a pas perdu et qu'elle ne perdra jamais – c'est bien lui.

(my little bird) « Chaplin ? Tu vas devoir abréger ta pause, on a besoin de toi pour les échographies, on est surbookées. » Son sandwich jambon-fromage restera donc intact. Ce n'est pas comme si elle avait grand appétit, de toute façon.  Maebh se lève, traîne des pieds jusqu'à la salle 208, qu'elle considère plus ou moins comme la sienne, vu le temps qu'elle passe entre ces murs. La jeune femme attrape le dossier qu'on lui a laissé, avant de faire un tour dans les vestiaires, où l'attend sa blouse. Et alors qu'elle ressort fin prête pour les rendez-vous, son chemin croise celui de Jackie, sa collègue et accessoirement meilleure amie. Ses boucles brunes ne sont qu'un amas de chevelure décoiffée et elle est occupée à fermer les boutons de son chemisier. Non loin d'elle, Jacob, un chirurgien connu pour séduire les demoiselles du service les unes après les autres. « Tu rigoles, j'espère ? » Jackie ne répond rien, continuant de marcher comme si de rien n'était. « Il va falloir qu'on parle, ce soir ! » Toujours aucune réponse, Jackie prend la fuite en se glissant in extremis dans l'ascenseur. Maebh soupire. Depuis ses noces désastreuses, Jackie perd les pédales. Mais il faudra réfléchir à cela plus tard, la salle d'attente est pleine à craquer. Au loin, Maebh aperçoit Bailey, occupé à nettoyer un liquide douteux. Il grimace et sur ses lèvres, la brune réussit à lire une succession de jurons. Elle aimerait bien lui tenir compagnie mais voilà qu'une première femme, enceinte de jumeaux, s'impatiente. Les patientes défilent en salle d'échographie, si bien que Maebh ne voit pas l'après-midi passer. C'est aux alentours de dix-sept heures qu'elle jette pour la première fois un coup d'oeil à sa montre, regrettant amèrement son sandwich et sa pause écourtée. « Maebh ? » Les sourcils de l'interpellée se froncent, lorsqu'elle voit s'avancer sa propre petite soeur.  « Gaby, qu'est-ce que tu fais là ? » La jeune fille ferme discrètement la porte avant de prendre place, hésitante, sur l'un des fauteuils jouxtant l'ordinateur. « J'ai croisé Jackie, elle m'a dit que tu étais ici... » Gabrielle fuit son regard et triture son vernis déjà quelque peu abîmé, signes évidents d'une nervosité certaine. « Il faut que tu m'aides, Maebh. Je crois que je suis enceinte. »